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الجمعية المغربية لحقوق الانسان - فرع تطوان
19 novembre 2005

Lettre ouverte

Lettre ouverte à Messieurs Koffi anan, Secrétaire général de l’ONU, Zapatero, Premier ministre d’Espagne, Jettou, Premier ministre du Maroc, Bouteflika, Président d’Algérie, Barroso, Président de la Commission Européenne, ainsi qu'à la Présidence du Parlement Européen.

Tétouan, 19 novembre 2005.

La raison d’Etat, les impératifs économiques, le réalisme politique : voilà les trois formules sacrées qui permettent, parfois, toutes les hypocrisies, tous les mensonges, toutes les brutalités. Rien de nouveau dans cette constatation, et les citoyens marocains, d’expérience, le savent mieux que quiconque.

Rien de nouveau, si ce n’est que les dirigeants de nations dont la prospérité, la cohésion ont été rendues possibles par les combats démocratiques, les batailles pour la justice sociale et le droit, mènent aujourd’hui une politique migratoire qui contredit violemment ces traditions dont l’Europe est si fière. Nous voyons aujourd’hui combien les menaces très concrètes contre ces valeurs mettent profondément en cause la démocratie et la cohésion des sociétés en Europe. Comme les dirigeants marocains savent que le respect de ces valeurs est indispensable à la construction d’une société démocratique au Maroc, seule garante de la paix civile et sociale.

Aujourd’hui, comme depuis plus de vingt ans, des femmes, des enfants, des hommes sont tabassés, enfermés, humiliés, surexploités, refoulés, parfois tués, pour le simple rêve d’une vie humaine qu’ils ne trouvent pas chez eux. Fuyant la guerre, la misère, la dictature, l’absence d’avenir, ils sont écrasés par des machines d’Etat qui refusent de les entendre, de les voir. Victimes à Paris, Madrid, Rome, Bruxelles, à Rabat, Alger, Tunis, Tripoli, du travail forcé, et au noir, de marchands de sommeil, d’incendies de taudis, de trafiquants d’êtres humains, de rackets et d’arbitraires policiers, d’agressions par des voyous impunis, de discriminations de toute sorte, de campagnes de haine, d’incarcérations illégales dans des cellules pourries, des casernes, des centres aseptisés qui sont l’antichambre du désespoir, de déportations massives… Victimes du déni de leur humanité chez eux, au Maghreb, en Europe, ces femmes, ces enfants, ces hommes demandent modestement la même chose depuis plus de vingt ans : une vie digne de leur condition d’êtres humains. Malgré les patrouilles de surveillance toujours plus nombreuses, les barbelés toujours plus hauts, les noyades, les meurtres, les coups, les injures, ils essayent et essayeront encore d’atteindre leur rêve. L’être humain, avec ou sans papiers, est ainsi fait ! Vous devriez l’avoir compris, après plus de dix ans de répression, de durcissement des législations, de fermeture prétendue des frontières, d’échec sécuritaire et de drames humains inouïs.

Car il s’agit d’un échec retentissant, que l’Union européenne cherche à imposer, par son obstination sécuritaire et répressive, au Maroc comme aux autres pays maghrébins. Leur confiant la sous-traitance d’une répression plus féroce encore, qu’il serait moins aisé de faire accepter par les opinions publiques européennes que par celles de pays où le droit est inexistant ou fragile et où l’on peut l’appliquer sans état d’âme contre de l’argent. Tel est bien le calcul cynique qui est fait par l’Europe, entre deux sermons sur les droits de l’homme.

Cette politique sans issue, et dont le prix humain s’alourdira encore, il faut y renoncer d’urgence. Jusqu’où êtes-vous prêts à jouer avec le feu, à faire payer de leur vie les victimes, de leur âme les opinions, pour maintenir cette politique qui n’est que l’expression de votre impuissance devant des défis démographiques, socio-économiques et culturels fondamentaux ? Où sont les belles intentions de l’Europe dans la lutte contre les arbitraires, la misère, l’inégalité criante du commerce Nord/Sud, qui sont les causes réelles qui poussent tant de gens à l’exil ? Au contraire, sa volonté de créer une zone de libre échange sur le pourtour méditerranéen aggravera encore les inégalités et les crises sociales.

Par quoi vont répondre les responsables européens aux réalités économiques que représente l’exploitation de la clandestinité en Europe, ainsi qu’aux besoins démographiques grandissant des sociétés européennes ? Par une directive Bolkenstein qui « égalisera » les droits des travailleurs par le bas ? Par de nouvelles immigrations économiques, sans dimension humaine, alors que l’échec de l’intégration des précédentes se paie cher dans les banlieues, les couches populaires, par des enfants déracinés, disqualifiés, rejetés ?

Par quoi vont répondre les responsables marocains à la faim d’espoir et d’avenir qui fait s’enfuir des milliers de jeunes chaque année, saignant encore et toujours le pays dans ses familles, sa richesse humaine et intellectuelle ? Par le service policier d’une Europe pourtant parcimonieuse de vrais moyens de coopération et de développement ?

On ne perçoit aucun débat, aucune réponse à ces questions brûlantes, qui conditionnent pourtant très largement le devenir de la cohésion sociale et de la démocratie dont les uns, en Europe, font un modèle, et les autres, au Maroc, attendent tant.

On n’entend que le bruit des matraques, des serrures, de la répression, des jeux de pouvoir, en Seine St Denis, à Bruxelles, Rome, Madrid, comme à Rabat, en Algérie ou ailleurs au Maghreb. On n’entend que les discours alarmistes, qui cultivent la peur, qui parlent d’invasions, alors que la réalité statistique est dérisoire, celle des migrants subsahariens au Maroc ne dépassant pas le demi pourcent de la population, et guère plus en Europe. On n’entend que le mensonge et le hurlement des loups.  On n’entend que le mépris.

Nous vous appelons instamment à ouvrir les yeux sur des réalités humaines et sociales qui doivent guider vos décisions autant que le réalisme politique et les impératifs de toute sorte dont on nous rabat sans cesse les oreilles. Les événements récents, au Maroc et en France, nous montrent clairement quels risques font courir, non seulement aux victimes elles-mêmes, mais à nos sociétés respectives, un tel aveuglement. D’autant que ces événements ne sont pas une fin, mais sans doute un commencement ; d’autant qu’ils ne sont pas isolés, mais au contraire la pointe visible d’une montagne de tragédies, de souffrances, d’injustices.

Sociétés, états, citoyens et dirigeants européens et maghrébins, nous devons nous ressaisir de toute urgence, au risque de perdre notre conscience, nos acquis, anciens ou récents, assurés ou fragiles, en matière de droit, de justice, de démocratie.

Concrètement, nous demandons aux responsables espagnols et européens, comme aux responsables marocains et maghrébins :

-          la constitution immédiate d’une commission d’enquête internationale et indépendante pour faire la lumière sur les responsabilités dans les violations graves des droits humains commises à Ceuta et Mellilia, ainsi que sur les victimes ;

-          l’arrêt immédiat de l’encerclement de la forêt de Bel Younech et des opérations de police sur le territoire marocain, visant au contrôle et au refoulement des migrants en transit ;

-          la libération de l’ensemble des migrants subsahariens aujourd’hui incarcérés dans les casernes militaires et autres lieux de détention, où qu’ils soient, et la régularisation de leur situation administrative ;

-          la cessation des campagnes répressives et illégales où qu’elles aient lieu ;

-          l’arrêt immédiat des programmes d’externalisation des contrôles e des procédures et le démantèlement des camps qui existent ;

-          la condamnation ferme des campagnes d’incitation à la xénophobie et la haine raciale ;

-          l’ouverture d’un débat international, avec les Etats et les sociétés civiles des deux rives, ainsi que les migrants eux-mêmes, pour des solutions humaines et durables.

Premières signatures :

Association marocaine des Droits humains, Réseau Chabaka, Association des Familles et Victimes de l’Immigration clandestine, Pro Derechos Humanos Andalousie, Coordination « SOS Migrants Maroc/Europe » Belgique, Cimade France, ATTAC Maroc, Pateras de la vida.

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